OLIVIER DEXHEIMER

RÉALITÉS BICHROMATÉES

La GLACIERE – du 1er au 30 avril
9 Rue Rollon, Le Havre
Horaires
Du jeudi au samedi de 14h00 à 19h00

http://www.etoilematutine.fr

Tout commence en juillet dans les Vosges, le jour de ses 9 ans. Il reçoit ce jour-là un petit Kodak Instamatic, qu’il adopte immédiatement. Ses premières photos : des champs autour de la maison, un peu bancals, les moutons de la ferme au loin – trop loin !, les Vosges, l’été. Son père, qui prend beaucoup de photographies de végétaux pour ses travaux scientifiques, a guidé les premiers pas de son aîné : ne pas mettre l’horizon au milieu, faire un premier plan, soigner la mise au point, l’exposition … Lentement, l’éducation à la perception de la lumière fait son chemin.

A la fin du 19ème siècle, la représentation de plus en plus fidèle de la réalité par la toute jeune photographie est l’argument principal des détracteurs de celle-ci, pour lui dénier toute ambition artistique : une stricte reproduction de la réalité, par le biais d’une “machine”, ne peut à leurs yeux prétendre incarner une quelconque démarche artistique. En réaction, le mouvement pictorialiste explore donc un certain nombre de pratiques et de techniques pour ré-introduire dans les tirages une distance vis-à-vis du réel et une possibilité d’action directe sur l’image en révélation, ouvrant de ce fait la porte à des prétentions artistiques : une de ces techniques est le tirage à la gomme bichromatée.

Le principe est simple. Il exploite la caractéristique des colloïdes (ici la gomme arabique) de durcir à la lumière avec l’ajout de bichromate de potassium. Comme ce mélange est transparent, il faut apporter de la couleur par des pigments utilisés en peinture, aux noms poétiques : terre de Sienne, d’Ombre, brun Van Dyck, rouge de Mars, noir de fumée… ce qui produit des images en nombreuses variations autour du brun, du rouge ou orange et du sépia. Le positionnement temporel d’une image contemporaine est ainsi brouillé par ces tonalités chaudes et ce rendu pictorialiste qui renvoient aux débuts de la photographie, tandis certaines scènes, plus intemporelles, conservent leur sens avec ce rendu.

Avec cette technique très manuelle, soumise aux conditions climatiques et à la qualité de l’eau, aux résultats souvent aléatoires, aux étapes de tirage nécessairement longues, la photographie numérique retrouve une matérialité et un caractère unique que les méthodes d’impression
actuelles ne peuvent plus procurer. Une sorte de “slow photography”, à rebours de la compétition technologique. Enfin, grâce à ces qualités, orthogonales à la précision toujours plus poussée des capteurs numériques actuels, la technique de la gomme bichromatée est donc un moyen privilégié pour ré-interpréter des images numériques, en introduisant une distance au sujet, par la perte des détails et des valeurs faibles de l’image, par le grain du papier et la variation des tonalités qui explorent les possibilités des pigments utilisés. L’exploration de cette distanciation est donc l’objet de la série présentée.

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